L’industrie de la construction et du bâtiment est en constante évolution et les changements ne semblent que vouloir s’accélérer. Cependant, un irritant majeur demeure pour tous les acteurs du milieu : les dépassements de coûts et d’échéanciers. Malgré toutes les avancées des dernières années, la réalité des imprévus est bien présente dans nos projets. Le virage technologique nous a apporté une panoplie de nouveaux outils qui ont le potentiel de changer nos manières d’approcher ce problème.
Est-ce que les conditions du secteur de la construction sont propices au développement de nouvelles méthodes permettant une meilleure gestion de projet?
Quelles sont ces technologies novatrices qui affirment révolutionner les façons de faire?
Voici un survol des conditions présentes et de certains moyens prometteurs qui ont la capacité d’améliorer la productivité de tous les intervenants du milieu de la construction.
TOUR D'HORIZON DU SECTEUR DE LA CONSTRUCTION
Le niveau de productivité industrielle mondial a augmenté au cours des dernières décennies d’environ 30%. Quant à celui du secteur de la construction, il est demeuré quasiment le même. De tous les secteurs économiques, celui de la construction se retrouve pratiquement au dernier rang en ce qui concerne l’indice de digitalisation de l’information, tout juste avant l’agriculture. Inversement, les technologies de l’information et les médias sont en tête de liste. Cela représente une anomalie importante pour ceux qui considèrent les nouvelles technologies comme un virage vers la gestion de l’information.
Somme toute, l’étude d’un large échantillon de projets d’envergure démontre que la grande majorité souffre de dépassements des coûts d’environ 80% du budget initial. L’échéancier moyen des projets analysés se voit également reporté de plus ou moins de 20 mois. Ces chiffres à eux seuls sont suffisamment élevés pour faire frissonner n’importe quel gestionnaire de projet.
La résultante est donc une industrie ayant un niveau de productivité stagnant, mais avec un fort potentiel de digitalisation et d’amélioration des processus. Alors qu’il a été démontré dans une autre étude que l’application de nouvelles technologies issues du Building Information Modeling (BIM) offre un excellent retour sur investissement, qu’est-ce qui peut ralentir leur adoption?
Le domaine de la construction est naturellement très compétitif. Généralement, la concurrence dans un secteur stimule l’innovation et la créativité. Cependant, elle a aussi pour effet de réduire les marges de profit des entrepreneurs qui ont déjà des coûts d’opération et de main-d’œuvre élevés. Ces faibles marges se reflètent dans une très petite part des profits investis en recherche et développement (R&D). Le budget de R&D typique de l’industrie de la construction représente moins de 1%, ce qui est minime en comparaison avec l’automobile et l’aérospatiale qui y investissent entre 3,5% et 4,5% de leur budget. Ces étroites marges encouragent également les entrepreneurs à vouloir éviter les risques reliés à l’implantation de nouvelles méthodes et outils.
La question qui se pose alors est la suivante : comment les nouvelles technologies peuvent-elles prévenir les dépassements de coûts en chantier et améliorer la productivité du milieu?
USAGES BIM
Incidemment, comment pouvons-nous réduire les risques reliés aux changements de processus et, par le fait même, encourager l’adoption de nouvelles technologies largement profitables pour tous les intervenants sur un projet?
Des études montrent que les bénéfices de l’adoption de processus BIM dans une entreprise peuvent rapporter un retour sur investissement important. Voici, en chiffres détaillés et tirés d’une recherche de la McWhorter School of Building Science, les avantages quantitatifs de l’application du BIM sur un projet de construction:
- Élimination jusqu’à 40% des changements budgétaires imprévus;
- Une précision de 3% en estimation des coûts;
- Jusqu’à 80% de réduction de temps lors de la production d’estimés;
- Jusqu’à 10% d’économie de la valeur du contrat grâce aux détections d’interférences;
- Jusqu’à 7% de réduction sur l’échéancier de projet.
En intégrant certaines de ces technologies dans un processus BIM, il est facile de voir à quel point elles peuvent être bénéfiques pour les entreprises, et encore davantage pour les donneurs d’ouvrage et exploitants.
À l’aide d’exemples concrets, voici comment les nouvelles technologies permettent de diminuer les coûts et les imprévus, tout en améliorant les conditions du secteur de la construction.
RELEVÉ ET MODÉLISATION DE L'EXISTANT (SCAN TO BIM)
Image 1. Relevé par laser
Une des premières étapes d’un projet est souvent le relevé des conditions existantes. Aujourd’hui, au papier et au crayon, viennent s’ajouter des outils plus performants. Ceux-ci permettent d’évaluer rapidement les conditions existantes d’un chantier avec une précision inégalée. Les concepteurs peuvent ainsi référencer les conditions du projet sans avoir à se rendre sur place.
« Nous avons besoin des dimensions individuelles de chaque pierre sur cette façade de 5 étages. Voici ton papier quadrillé et ton crayon-feutre. Prends ton temps, mais fais ça vite! »
Histoire vécue par un releveur, soucieux du travail bien fait.
Des technologies, comme la photogrammétrie, permettent de faire un relevé d’assemblages complexes et de les transposer avec précision dans des logiciels de modélisation. De plus, une caméra montée sur un drone opéré à distance remplace le long processus des mesures manuelles.
Pour d’autres besoins, les relevés à l’aide de nuages de points numérisent rapidement la géométrie d’espaces intérieurs ou extérieurs. Ces relevés, une fois intégrés dans les maquettes de conception, permettent la mise en place des bases de conditions existantes.
L’intégration des informations prises sur les lieux peut, par la suite, se faire dans des outils de visualisation ou de modélisation 3D dans les bureaux des intervenants, évitant ainsi de longues périodes passées sur les lieux.
Pour une analyse en profondeur d’un cas de figure, consultez l’article suivant: Innover à 360° dans la construction de vos projets.
ESTIMATION
Un des chemins directs vers la diminution des imprévus en chantier passe par une estimation détaillée des coûts et des quantités. Le potentiel de l’usage du BIM en estimation est vaste. En construisant d’abord le jumeau numérique, les estimateurs ont accès à toute l’information nécessaire afin de pouvoir quantifier avec justesse les différents éléments du bâtiment.
Les surfaces, les volumes, les quantités et les coûts peuvent être extraits d’une maquette plus rapidement et avec davantage de précision que ce qu’il est possible de faire avec des outils traditionnels. De plus, l’information résidant à l’intérieur des maquettes évolue avec la progression de la conception et les changements apportés au cours de la construction. Cela permet donc de conserver un portrait clair des différents enjeux de coûts tout au long des nombreuses phases du projet.
DÉTECTION D'INTERFÉRENCES
Image 2. Détection d’interférences dans Autodesk Navisworks
La coordination des différents métiers et intervenants sur le chantier est un des volets les plus critiques en ce qui concerne les dépassements de coûts. Savoir ce qui est à sa place et ce qui ne l’est pas avant que cela ne se produise est l’un des raccourcis les plus efficaces vers des économies de coûts en chantier. Nombreux sont les professionnels du secteur de la construction qui ont une panoplie d’anecdotes qui finissent par « si seulement on avait vu ça avant! ». C’est là que la maquette numérique entre en jeu. En utilisant les données modélisées, nous arrivons à voir les conflits de systèmes avant qu’ils ne se rendent sur le terrain.
Appliquée concrètement, la détection d’interférences est un puissant outil à ajouter à notre coffre. Des volumes peuvent être réservés dans les maquettes pour des zones d’accès devant rester libres. Des espaces de dégagement peuvent être prévus et planifiés tout au long de la conception.
Les avantages ne se résument pas simplement aux capacités de cet outil seul. Combinée avec d’autres technologies dans un processus, la détection d’interférences devient une carte importante dans le jeu de l’entrepreneur soucieux d’éviter les dépassements de coûts.
Un relevé par scanner au laser nous donne la position exacte des éléments existants sur place. Une fois ce modèle entré dans la maquette, il peut être comparé pour y trouver les divergences avec les éléments prévus et ainsi adapter la suite des travaux sans avoir à retarder davantage leur mise en œuvre.
ÉTUDES DE CAS
Image 3. Aquarium Hilton Garden Inn, Atlanta
Un des exemples cités dans la recherche de McWhorter School of Building Science mentionnée plus haut, fait état d’un projet réalisé dans le logiciel de modélisation ArchiCAD. L’équipe de projet a maintenu pendant toute la période de construction des rencontres hebdomadaires de constructibilité. Au cours de ces rencontres, les intervenants se servaient des rapports d’interférences détectées dans Navisworks pour coordonner les travaux à venir.
De cet exercice ont résulté la détection et la coordination de 590 conflits d’importance avant leur mise en œuvre. Les économies en chantier issues de ces détections d’interférences s’élèvent à 800 000 $ sur la durée entière du projet. D’ailleurs, selon les estimés, les délais sur le temps de réalisation qui ont été évités sont de plusieurs mois.
Au-delà d’avoir fait moins de changements une fois au chantier, les concepteurs rapportent que la visualisation 3D des fondations a permis aux entrepreneurs en coffrage d’estimer et réaliser adéquatement leurs travaux sans dépassement, malgré la complexité du projet.
JOURNALISATION DES PROBLÈMES
Image 4. Suivi de conflits dans Autodesk Construction Cloud
En tandem avec la détection d’interférences, un autre style d’outil s’ajoute au coffre des intervenants sur un chantier. La capacité de pouvoir effectuer le suivi de tout conflit ou problème, de manière instantanée et mobile, est un atout concret. Les solutions de suivi mobile et en ligne viennent bien cimenter la fin de l’ère papier; l’époque des corrections au crayon rouge sur un cahier de plans physiques est maintenant chose du passé.
« Avec ton téléphone, prends en photo les notes rouges sur les plans pour pouvoir te les envoyer par courriel et les corriger depuis ton bureau. N’oublie pas de revenir mettre du marqueur sur les notes rouges quand tu auras terminé; il ne faudrait pas que quelqu’un d’autre y touche! »
Cauchemar d’un pauvre dessinateur qui rêve d’une plateforme de suivi mobile.
Plusieurs méthodes de suivi ont été développées au cours des années par les gens qui doivent mener les projets à terme. Aujourd’hui, avec l’accès plus facile que jamais aux données mobiles, les problèmes en chantier peuvent être relevés et partagés instantanément avec les personnes concernées. Un suivi des tâches créées peut ainsi être journalisé afin d’avoir en temps réel l’état d’avancement des questions posées et l’historique de ce qui a été réglé.
Image 5. Visualisation des problèmes sur la plateforme BIM Track
Les équipes de chantiers ont accès, par ces plateformes, à de puissants outils permettant la création de rapports d’avancement afin de toujours avoir le pouls exact du projet. Ils peuvent ainsi prioriser la résolution des problèmes les plus urgents en réunion et maximiser l’impact de leur temps.
PLAN D'ACTION POUR LE SECTEUR DE LA CONSTRUCTION (PAC)
Le plan d’action pour le secteur de la construction (PAC), annoncé en mars 2021, vise à maximiser les investissements et la mise en oeuvre du Plan québécois des infrastructures en comptant sur la transformation numérique pour accroître la productivité de l’industrie de la construction au Québec.
Feuille de route gouvernementale pour la modélisation des données du bâtiment
Au-delà des gens impliqués directement sur les chantiers pendant les phases de conception et de construction, ceux qui ont le plus à gagner de l’arrivée des technologies BIM sont les propriétaires et exploitants. L’accès au jumeau numérique d’un actif ouvre donc d’innombrables portes pour la gestion efficace et la maintenance de ce dernier.
C’est avec cet objectif en tête que plusieurs donneurs d’ouvrage public du Québec ont mis en commun leurs visions pour le futur des projets dans les domaines du bâtiment, des infrastructures civiles et des actifs industriels.
Cette initiative représente un important moteur de changement pour l’industrie, qui se voit proposer un nombre grandissant d’opportunités afin de mettre à profit la valeur des nouvelles technologies.
CONCLUSION
Il semble que tous les facteurs nécessaires pour une croissance de la productivité du milieu de la construction par les technologies numériques soient présents au Québec. La combinaison de l’initiative des donneurs d’ouvrage public et de la prolifération des solutions BIM pour améliorer l’efficacité des acteurs de l’industrie est un terroir fertile au changement. De plus, la capacité de prévoir les problèmes au chantier avant qu’ils ne surviennent et d’en assurer la résolution rapide est plus actuelle que jamais. Finalement, une révolution des façons de faire en construction prend place en ce moment et il ne faut que la suivre. Pour y parvenir, il suffit d’aller de l’avant et solliciter les appuis ayant les compétences et les connaissances nécessaires pour faciliter le changement. L’industrie de la construction a ainsi tout à gagner si ses acteurs coopèrent entre eux pour concrétiser ces opportunités de plus en plus présentes et accessibles.